TRANSACTION EDHEC
Bourse et sport : les clubs de football ont-ils la côte ?
Juin 2005
Grégory Boublil
                 
Le mois de novembre 2004, Jean-Michel Aulas, président de l'Olympique Lyonnais, s'est vu refuser l'entrée de son club sur les marchés au nom de la sacro-sainte loi Buffet qui interdit aux clubs français de rentrer en bourse. Pourquoi une telle loi interdit-elle ce qui est autorisé dans les autres pays d'Europe ? Cette mesure a-t-elle empêché des clubs français d'avoir une puissance financière digne de celle de Manchester United, ou les a-t-elle sauvé des marasmes dans lesquels sont plongés le Borussia Dortmund et la Lazio de Rome ?
Nos clubs sont-ils assez solides pour pénétrer dans la jungle des marchés ? Les clubs de football ont-ils réellement vocation à rentrer en Bourse ?

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UNE LOI  A PREMIERE VUE CRITICABLE.

Cette loi est paradoxale puisque des clubs comme Bordeaux et le PSG ont indirectement accès aux marchés par le biais de Canal+ et M6 (des sociétés qui les détiennent). Pourquoi une formation indépendante comme Lyon n'y aurait-elle pas le droit ? Notons que la loi précise que le club peut être côté en bourse, à condition de faire partie d'un holding dont il n'est pas l'élément principal. Jean-Michel Aulas avait essayé de faire rentrer son club en bourse en créant un holding composé de son club et de tous ses produits dérivés (OL restaurant, OL taxi, OL Conduite…) mais le club a été jugé comme prenant une part prépondérante dans le holding (85%), d'où le refus.

Ce qui peut sembler également injuste dans cette loi est l'autorisation accordée aux clubs étrangers. Robert Louis-Dreyfus, président de l'OM et actionnaire majoritaire du Standard Liège, a en effet déclaré fin décembre 2003 qu'il envisageait une introduction sur les marchés parisiens du club Belge. Cette loi paraît donc absurde dans un contexte européen. Pourquoi les clubs français n'auraient-ils pas les mêmes droits en France que les clubs étrangers ? Parce que le gouvernement veut les préserver du pire ?



UNE LOI POUR PROTEGER LES FINANCES DES CLUBS

Les clubs de football en Bourse, de nombreux échecs…

A la fin des années 1990, nous avions l'impression que l'entrée en Bourse était une potion magique qui rendait les clubs invincibles… c'était oublier que toute potion a ses effets secondaires. La Lazio de Rome, qui était pourtant adulée suite à son introduction en bourse en mai 1998, n'en finit plus de voir son cours s'effondrer et ses pertes s'aggraver (68,1 millions d'euros en 2003 !). Le Borussia Dortmund, seul club allemand côté en bourse, voit désormais ses dettes s'élever à 150 millions d'euros. Le club a d'ailleurs frôlé la faillite cette année. La faillite du Borussia Dortmund aurait signifié la mort du club allemand le plus prestigieux derrière le Bayern Munich, et ce, moins de 10 ans après avoir terminé champion d'Europe !

Qui s'expliqueraient par de mauvaises gestions

Michel Tudel, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) soutient que « les clubs ont érigé en principe des méthodes dérogatoires au plan comptable. Les indemnités de transfert devraient normalement constituer une charge. Or, si tel était le cas, les clubs seraient en majorité déficitaires. Du coup, ces montants sont inscrits à l'actif du bilan en « charges à répartir » amorties sur la durée du contrat du joueur. » Ce constat, éclaire peut-être en partie les déconvenues boursières de ces dernières années. Mais selon Tudel  « les clubs français respectent davantage les règles que leurs homologues étrangers ». Jean-Michel Aulas, le souligne d'ailleurs : « les comptes de l'OL sont certifiés par les commissaires aux comptes et ils sont publics ».
Pourquoi dès lors empêcher l'OL de recourir à la Bourse?

LA LEGENDE NE S'ACHETE PAS COMME UNE BANQUE. LE CLUB DE FOOT N'EST PAS UNE ENTREPRISE COMME LES AUTRES.

Les investissements ne sont que très peu souvent rentables

Lors de la saison 1999-2000, la Champion's League change de format et accueille, 21 clubs du Top 6, (Espagne, Angleterre, Italie, France, Allemagne, Pays-Bas) contre 12 en 98 et 7 en 96, et ce pour augmenter les droits télés. À ce moment, en raison des énormes sommes financières qui circulaient, on a beaucoup comparé les clubs de football à des entreprises. Toute généralisation occulte des détails qui se révèlent un jour décisifs. La spécificité d'un club de football est que sa valeur se mesure en termes de victoires (valeur et pas notoriété). Or les bons joueurs qui font gagner des matchs coûtent de plus en plus chers (on a même parlé entre 1998 et 2002 d'une bulle spéculative). Ainsi tous les bénéfices doivent être réinvestis, voire sur-investis pour acheter de meilleurs joueurs afin que l'équipe continue à vaincre. Ces réinvestissements s'opèrent donc sur de la main-d'œuvre et non sur des innovations technologiques et autres actifs immobilisés. Les bénéfices ne sont donc presque jamais reversés aux actionnaires. Pourquoi, dès lors, devenir actionnaire ?

Autre spécificité du club de football : ses résultats volatiles. Un joueur clé blessé, l'action baisse ! Lorsqu'un supporter de la Roma a blessé l'arbitre Frisk lors de la première journée de la Champion's League 2004-2005 et a fait perdre son équipe sur tapis vert, l'action du club s'est s'effondrée. Toute entreprise subit les contrecoups de l'actualité. L'impact psychologique joue toujours un rôle dans le cours d'une action. Mais la dramatisation d'une défaite est un trait particulier du football, et c'est une des raisons de son succès. Est-ce viable dans les marchés ? Imaginez le PSG, dont chaque défaite ou match nul entraîne l'hilarité de la France entière, côté en Bourse… Je ne parlerai même pas de l'OM dont une défaite en Coupe de la Ligue entraîne le boycott de ses supporters. Et pourtant, la Coupe de la Ligue est une compétition mineure qui n'intéresse presque personne.  « Oui mais c'est parce que c'était le PSG en face. Nous sommes des passionnés ! »  répondront les Marseillais. Mais passion et cotation en bourse font-ils bon ménage ? Peut-être l'OL, club qui déchaîne les foules mais pas les passions ou les polémiques comme l'OM ou le PSG et qui surtout n'a pas des résultats volatiles est mieux taillé…

Et pourtant il y a Manchester…

Manchester United a su diversifier ses activités et donc pérenniser les revenus liés à la marque et aux produits dérivés. Ainsi, moins d'un tiers de la valeur de Manchester est corrélée aux aspects purement sportifs. En 2002, Manchester n'a rien gagné et a même perdu le championnat après  l'avoir gagné 3 fois consécutivement. Pourtant le club a vu ses bénéfices augmenter de 48% ! En février 2004, après leur élimination de la Champion's League face à Porto, l'action montait parce que le riche américain Malcolm Glazer avait encore augmenté ses parts. En effet les rumeurs d'achats de l'équipe favorisaient la hausse du cours de l'action, et ce alors que les résultats de Manchester étaient le plus mauvais que le club avait connu depuis plus de 10 ans.
Les activités diversifiées de l'OL ne représentent aujourd'hui « que » 12% de son chiffre d'affaire. Sous peu selon Jean-Michel Aulas elles devraient atteindre les 20%. L'OL ne deviendrait-il pas le Manchester français ?
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« Je ne suis pas contre la bourse, mais le Real est dans le cœur des gens, pas dans leur poches »   Florentino Pérez, président du Real Madrid

De très nombreux supporters s'identifient à leur club de foot et un des dangers de la bourse est une tentative d'OPA. Manchester United, qui a toujours été considéré comme un exemple réussi de l'introduction des clubs en Bourse, s'est fait racheté comme une entreprise quelconque par le milliardaire américain Malcom Glazer. Et pourtant les supporters étaient contre, l'affaire est loin d'être classée et elle n'a pas fini de faire couler beaucoup d'encre. Nous avons la même réaction quand une entreprise française se fait racheter, mais c'est en France. L'Angleterre a vu beaucoup de ses entreprises rachetées par des étrangers sans que cela provoque autant de remous. Mais là il s'agit de football, et pas n'importe quel football : Manchester United, le premier club anglais à avoir gagné la Coupe d'Europe des Clubs Champions. Une institution ! Et comme si cela ne suffisait pas, Glazer a obtenu les 75% nécessaire pour pouvoir décider unilatéralement de l'avenir du club (il en possède 76,2%). Sa première décision est… de retirer Manchester United des marchés dès le 22 juin. Le problème dans la Bourse est qu'un club de football n'est pas une entreprise comme les autres, car plus que tout autre entreprise, il engendre un phénomène d'identification très fort dans sa ville et même au-delà. Toucher à Manchester revient à toucher à l'ensemble de la population mancunienne. Et pourtant nous ne pouvons pas voir ceci comme une marque de xénophobie. En effet les Anglais ne se scandalisent jamais quand une de leur entreprise se fait racheter (l'exemple Rover en est la preuve). Et ceci n'est pas valable que pour Manchester United. Le lendemain de la victoire de Liverpool en Ligue des Champions le mercredi 25 mai 2005, les entreprises ont constaté un taux d'absentéisme pour « congé maladie » de 20% (!!), pour assister au défilé de l'équipe dans les rues de la ville.

Au risque de paraître répéter un poncif, le football dépasse donc le domaine strict du sport. Est-ce seulement pour cela que le gouvernement français ne veut pas que les clubs français soient côtés en bourse ? N'y a-t-il pas derrière tout cela une peur (ou un rejet) du football-business ? Transformer les clubs de football en véritables puissances économiques, n'est-ce pas mettre en péril toute l'image véhiculée par l'esprit sportif en Europe ?

Peut-on transformer les clubs de football en puissances économiques sans remettre en cause le système de compétitions à l'européenne ?

   Lyon serait donc le seul club français qui aurait les armes pour profiter d'une rentrée Bourse. Quand il a repris le club de Lyon, alors en deuxième division,  Jean-Michel Aulas a affirmé qu'il voulait « parvenir à un résultat économique qui rendr[ait] la victoire sportive inéluctable ». C'est-à-dire, qu'avec les fonds économiques engendrés l'équipe achèterait les meilleurs joueurs et pourrait triompher. Mais tous les clubs ne peuvent pas avoir une telle réussite marketing.L'entrée en Bourse des clubs de football génèrerait donc un accroissement des inégalités entre les clubs aux noms prestigieux et les autres. Or si les inégalités s'accroissent, le suspens se réduira. Dès lors il y aura moins de spectacle. Jean-François Bourg et Jean-Jacques Gouguet soulignent en effet, dans L'Economie du sport que le spectacle d'une compétition repose sur son incertitude. Si les résultats sont "acquis", le public va se lasser et les rentrées financières seront réduites. Il faudrait donc par conséquent, pour assurer des rentrées économiques importantes et régulières aux clubs de football, sans nuire au suspens de la compétition, recourir à une ligue fermée sans relégation. Ainsi, il serait possible, comme cela se passe aux États-unis, d'adopter des mesures de restriction des salaires (salary cap) ou de répartition des jeunes (en NBA, les derniers clubs de l'année précédente choisissent en priorité les meilleurs jeunes). Les clubs les plus riches accepteraient d'être défavorisé car ils ne risqueraient pas d'être relégué ou de ne pas jouer la compétition européenne la plus prestigieuse (dont les qualifiés sont les meilleurs de chaque championnat). Ils l'accepteraient car ils auraient l'assurance d'une rentrée financière forte. Cette mesure a pour vocation de relancer l'intérêt de la compétition, puisque les « petits clubs » ont une chance de faire une bonne saison. La priorité n'est donc pas accordée au résultat sportif mais au spectacle… ceux qui va à l'encontre du système sportif européen. Pour le spectacle, ce serait une belle avancée. Mais Guy Roux, entraîneur d'Auxerre, souligne que le football est basé sur un système pyramidal avec la Mongolie à la base et la finale de la Ligue des Champions au sommet et dont la force est qu'un joueur de Mongolie peut rêver de jouer un jour la finale de la Ligue des Champions.
SYSTEME EUROPEEN OU AMERICAIN ?

Recherchons-nous le spectacle ou l'exploit sportif ? Le football-business est-il adapté à notre système pyramidal ? Le football, sport roi dans presque tous les pays du Monde sauf aux états-Unis n'est-il pas paradoxalement en voie d'adopter les méthodes du pays du Nouveau-Monde ? C'est tout le football business qui est en jeu dans ce débat.

Grégory Boublil